Morgan M jette un œil sur la vague de grèves en Italie à la lumière de la pandémie du coronavirus et les réponses du gouvernement et de l’industrie, interviewant un pompier militant dans un syndicat local de base. Image: Des travailleurs des installations de TNT FedEx à Gênes et Bologne en grève le 7 avril pour des conditions plus sûres.
Lorsque le COVID-19 a frappé l’Italie, le gouvernement a tenté d’isoler les personnes tout en laissant rouler l’économie. Alors que le gouvernement interdisait les rassemblements et soulignait l’importance de l’isolement, il poussait également les travailleurs à continuer de se présenter au travail, quelles que soient les conditions. Cette contradiction a provoqué une vague de grèves sauvages à travers le pays.
En Italie, le Travail se négocie généralement à deux niveaux : les accords sectoriels fixant des normes industrielles et les accords spécifiques fixés à une entreprise particulière.
Il existe trois grandes confédérations syndicales (comme la CSN, la FTQ, et la CSQ) ainsi que deux petites confédérations de droite. Les trois grandes confédérations sont la CGIL, qui est la plus grande et affiliée au Parti Communiste ; la CISL qui était chrétienne-démocrate ; et l’UIL qui était affiliée au Parti Socialiste.
Au niveau national, les confédérations syndicales négocient avec la Confindustri, qui représente les employeurs et le gouvernement dans une sorte de partenariat social triparti.
Au niveau de l’entreprise, il existe des « conseils de travail » qui représentent les travailleurs. Tous les syndicats qui ont le soutien de plus de 5 % des employés (il n’y a pas de formule Rand comme au Canada) peuvent participer au conseil. Il existe deux types de conseils où la force du syndicat dépend de la largeur du membership au sein de l’entreprise. Les deux types diffèrent selon que les syndicats nomment les délégués syndicaux ou que les employés les élisent.
Parallèlement, il y a les syndicats Cobas – les COmités de la BASe (syndicale). Il existe de nombreux syndicats Cobas, allant des très petits à ceux qui comptent entre 40 et 50 000 membres. Ils fonctionnent de manière similaire au Syndicat Industriel des Travailleurs et Travailleuses-IWW en Amérique du Nord, c’est-à-dire organisés en dedans et en dehors de la structure légale du travail. Le SI Cobas a attiré l’attention pour avoir su organiser des grèves dans le secteur de la logistique. Le SI Cobas fera souvent grève jusqu’à la fin (jusqu’à ce qu’une résolution soit atteinte) par opposition à la grève limitée, qui est une tactique plus courante.
Malheureusement, les différentes directions syndicales des Cobas se voient souvent comme des rivales et ne font pas grèves ensemble.
J’ai eu la chance d’interviewer Mariopaolo, un pompier et militant de la base du syndicat Cobas «Unione Sindacale Di Base» (USB), au sujet des grèves qui s’y sont déroulées. Il y milite depuis quelques années, luttant pour que l’USB demeure hors des accords nationaux afin de maintenir sa liberté de faire grève. Il est également actif dans une coordination de militants Cobas de la base, encourageant l’unité d’action entre les différents syndicats Cobas.
Lorsque la pandémie a éclaté, l’Italie a commencé à isoler des individus dans le nord du pays. Pouvez-vous expliquer la réaction de la classe ouvrière à la limitation des actions des travailleurs et travailleuses ?
En Italie, comme dans la plupart des pays – en particulier ceux où le capitalisme est âgé – la classe ouvrière est depuis des années marquée par une passivité générale.
Dans cette passivité générale, un gouvernement décidant de limiter la liberté d’action des syndicats n’est pas considéré par la plupart des travailleurs et travailleuses comme un problème. En effet, si nous ne sommes plus habitué.e.s d’utiliser un outil de protestation (grèves, assemblées, piquets), lorsque celui-ci nous est retiré, on ne le remarque qu’en principe : dans les faits, on ne remarque plus son absence.
Il y a cependant eu des exceptions. Vendredi le 4 mars, ArcelorMittal – le plus grand aciériste du monde, propriétaire à la fois de Bethléem et de Republic Steel aux États-Unis – a conclu un accord avec le gouvernement sur les plans de licenciements et les congédiements dans ses aciéries en Italie. À l’aciérie de Gênes, le syndicat FIOM-CGIL – le plus grand syndicat des métallurgistes et des travailleurs et travailleuses de l’automobile en Italie – a convoqué une réunion d’usine le 9 mars, ce qu’ils peuvent faire à tout moment pour des questions syndicales. ArcelorMittal a interdit la réunion en invoquant le décret d’isolement social que le gouvernement avait publié ce jour-là. Le syndicat FIOM de l’aciérie a répondu qu’il allait déclarer la grève et organiser une réunion à l’extérieur de l’usine. Les jours suivants, cependant, la propagation de l’épidémie s’est considérablement aggravée, ce qui a conduit à la révocation des assemblées.
Il convient toutefois de préciser que ni le décret gouvernemental du 4 mars ni les décrets ultérieurs n’ont interdit les grèves. Par conséquent, par crainte de contagion, c’est-à-dire pour défendre leur propre santé, les travailleurs et travailleuses ont déclenché une grève dans de nombreuses usines au cours des jours suivants.
Le gouvernement a-t-il rendu obligatoire le travail dans les zones d’isolement ?
Le gouvernement n’a pas arrêté les activités essentielles avant le 23 mars (nous y reviendrons plus tard). Les premiers cas ont été découverts 21 février dans 10 petites communes de quelques milliers d’habitants de la province de Lodi (en Lombardie, au sud de Milan) et dans une petite commune de la région Vénétie. Le gouvernement a fermé ces 11 municipalités en tant que « zones rouges », d’où personne ne pouvait ni entrer ni sortir. Comme il s’agissait de petites municipalités, il était difficile pour les entreprises qui y étaient situées de poursuivre la production car une partie plus ou moins importante de leur personnel habitait d’autres municipalités ; et ces travailleurs et travailleuses ne pouvaient donc plus accéder à leurs emplois dans la zone rouge. Notons aussi que ces entreprises n’avaient plus accès aux matières premières et produits semi-finis nécessaires à la production.
Cependant, la situation a changé le 9 mars, lorsque le gouvernement a créé une zone rouge beaucoup plus étendue, qui englobait l’ensemble de la région de Lombardie et 14 provinces d’autres régions.
Par le fait même, le gouvernement a élargi son contrôle face à la circulation des personnes et la limitation des manifestations, réunions et rassemblements à un tiers du territoire national. Mais comme aucun arrêt de production n’avait été annoncé, les entreprises des 11 zones rouges de la municipalité d’origine ont pu reprendre la production.
La même chose s’est produite le 11 mars, lorsque le gouvernement a étendu la zone rouge à l’ensemble du territoire national.
Ces mesures visant à étendre les restrictions de circulation et d’assemblées ont commencé à inquiéter les travailleurs et les travailleuses, ce qui a eu pour effet de les faire déclencher des grèves dans bon nombre d’usines.
Des grèves se sont propagées dans tout le pays. Précisons que ces dernières n’étaient pas instiguées par les dirigeants des syndicats du régime (CGIL, CISL, UIL – les centrales syndicales qui signent les accords nationaux), ce qui ne s’était pas produit en Italie depuis de nombreuses années.
Le 14 mars, face à cette situation, les syndicats du régime ont signé un accord avec le gouvernement et la plus grande organisation d’industriels italiens (la Confindustria) visant non pas à arrêter la production non-essentielle, mais plutôt à garantir des mesures de sécurité pour les travailleurs et travailleuses.
Existait-il un moyen légal de se protéger au travail?
Les décrets du gouvernement ont établi des mesures obligatoires pour atténuer le risque de contagion. Dans plusieurs cas, les syndicats ont utilisé ces dispositions légales pour imposer des licenciements temporaires aux employeurs en attendant la mise en œuvre de ces mesures, comme le prévoit le protocole du 14 mars.
Où les syndicats et les entreprises ne sont pas parvenus à un accord sur les licenciements temporaires, des grèves ont été organisées. Dans certains cas, les syndicats ont déclaré qu’il ne s’agissait pas de grèves mais « d’abstentions de travail ». Il va sans dire qu’une grève n’est rien d’autre qu’une abstention collective de travail. Cependant, cette distinction a probablement été utilisée par les syndicats – et les travailleuses et travailleurs – dans l’espoir que des allocations de chômage seraient versées, comme le prévoient les décrets gouvernementaux.
Comment la vague de grèves a-t-elle commencé? Étaient-elles spontanées? Provenant des syndicats Cobas? De l’intérieur de la CGIL?
Les grèves ont commencé à se multiplier lorsque la gravité de l’épidémie est devenue apparente. Elles sont également le produit de l’escalade des mesures gouvernementales, du 21 février au 11 mars.
Nous devons préciser ce qu’est une « grève spontanée ». Certes, les travailleurs et travailleuses ont exercé une pression pour faire grève. Dans de nombreux cas, ils et elles ont trouvé le soutien des délégués d’usine [délégués syndicaux] des syndicats du régime, qui ne se sont pas opposés aux grèves. Certaines des structures régionales des syndicats du régime ont proclamé des grèves générales. Ce fut le cas de la FIOM (CGIL- automobiles et métallurgie) en Lombardie, au Trentin et à Turin; et le cas de la FILCAMS-CGIL-CGIL (le syndicat CGIL du commerce, des services et du tourisme) à Gênes.
Ce sont les dirigeants nationaux des confédérations – la CGIL, la CISL et l’UIL – qui n’ont pas organisé le mouvement de grève afin de stopper les activités non-essentielles à plein salaire. Ils n’ont pas appelé à une grève générale nationale multisectorielle et le 14 mars – alors que l’épidémie avait déjà montré toute sa gravité et fait des milliers de victimes dans le nord de l’Italie – ils ont signé le protocole susmentionné.
Les syndicats de base – SI Cobas, USB, CUB, ADL Cobas – ont appelé à des grèves nationales dans certaines industries et, le 25 mars, l’USB a appelé à une grève dans toutes les industries, à l’exception des travailleurs essentiels.
Cependant, ces syndicats n’ont pas la force de promouvoir de véritables grèves générales, même au sein des industries corporatistes, à l’exception de SI Cobas, situé dans la logistique. Même après les 8 et 11 mars (avec l’extension de la zone rouge d’abord à l’ensemble de la Lombardie et ensuite à l’ensemble du pays) et la multiplication des grèves qui résultèrent, les grèves nationales des syndicats Cobas n’ont pas réussi à impliquer une partie importante des travailleurs et travailleuse. Cela est dû au fait que les syndicats du régime – bien que soutenant les grèves qui ont eu lieu au niveau corporatiste et au niveau régional – n’essaient jamais d’unifier les grèves au niveau national. De plus, même dans cette situation propice à la mobilisation des travailleurs et travailleuses, les dirigeant.e.s des syndicats Cobas ont refusé de faire corps et n’ont cessé de se faire la guerre.
Comment ces grèves ont-elles été organisées?
Les grèves sont l’expression d’un mouvement de base de la part des travailleurs et travailleuses qui, face aux appels du gouvernement à rester confiner, se sont retrouvés contraints de se rendre au travail avec un risque évident de contagion. Les délégué.e.s syndicaux étant soumis.e.s eux-mêmes à cette double contrainte, cela explique en partie leur large soutien aux grèves.
D’un autre côté, le manque d’unification des grèves n’aboutissant pas à une grève nationale de toutes les catégories de travail, visant non seulement à ne pas exposer les travailleurs au risque de contagion mais aussi à obtenir le plein salaire, a empêché l’extension des grèves. Ces grèves se limitant ainsi aux zones où l’épidémie était la plus importante, où les travailleurs étaient aux prises avec le choix « santé ou salaires ».
La CGIL et d’autres syndicats cherchent à travailler avec des entreprises, comme le fait l’UAW aux États-Unis (ou les grandes centrales du Québec). Si je comprends bien, la CGIL a essayé de travailler avec l’industrie mais n’a pas réussi et des grèves sauvages ont alors éclatées ?
La gravité de l’épidémie s’était déjà clairement manifestée le 8 mars. Face à la généralisation des grèves, le protocole signé par les dirigeants nationaux de la CGIL, de la CISL et de l’UIL – avec le gouvernement et l’industrie – a permis de reporter la fermeture complète des secteurs économiques non-essentiels autant que possible. Ce protocole prévoyait que la mise en œuvre des mesures (de santé et de sécurité, et de confinement) se fasse de concert entre l’entreprise et les syndicats dans chaque secteur de production. Le protocole prévoyait également une suspension temporaire de la production, avec des fonds de chômage destinés aux travailleurs et travailleuses, si aucun accord ne pouvait être trouvé. Si tel était le cas, le syndicat se réservait le droit de déclencher une grève.
Ainsi, les syndicats du régime ne s’opposent pas aux grèves, mais se réservent plutôt la possibilité de les organiser. En revanche, les syndicats ont permis au gouvernement de reporter la suspension des activités non-essentielles jusqu’au 25 mars, 11 jours plus tard.
Le respect des règles de confinement (des accords entre le syndicat et l’entreprise) était possible dans les entreprises où les syndicats du régime avaient une force suffisante et où les délégué.e.s étaient combattifs et combattives.
À la fin, les travailleurs et travailleuses de la plupart des petites et moyennes entreprises – où travaille la majorité de la classe travailleuse d’Italie – sont laissés à la merci des patrons.